Affaire Fillon : Aristote au secours !

aristote-2Dans un livre remarquable ″Justice″, le philosophe américain Michael Sandel, la star de Harvard, nous présente les trois grandes conceptions rivales de la justice.

Ou comment nous aider à mieux distinguer, justice et injustice, égalité et inégalité, droits individuels et bien commun, acte injustifiable et acte justifié.

Pour la première conception de la justice dite libertarienne, est considéré comme juste ce qui garantit la liberté de chacun (sans gêner les autres) ; Dans cette conception, par exemple, rien en France ne devrait empêcher ceux qui souhaitent travailler le dimanche de pouvoir le faire, ni une loi, ni un syndicat, ni une conviction religieuse (le jour du Seigneur) ; Chacun étant dans cette conception de la justice, libre de choisir et de décider ce qu’il préfère.

Pour la deuxième conception de la justice dite utilitariste, est juste ce qui maximise l’utilité et le bien-être collectif. Dans cette conception par exemple, il est juste de pouvoir travailler le dimanche parce que cela augmente la satisfaction de ceux qui travaillent (plus de salaires), de la Sécu (plus de cotisations), du fisc (plus d’impôts), de ceux qui ne peuvent pas faire leurs courses un autre jour, des touristes, de ceux qui s’ennuient le dimanche etc.

Pour la troisième conception de la justice dite honorifique, est juste ce qui encourage et honore le mérite, le talent et la vertu. Pour Aristote la justice doit être honorifique en ce sens qu’elle doit récompenser et honorer le mérite, le talent et les grandes vertus : courage, prudence, patience, persévérance, tempérance, force d’âme… Par exemple, on peut penser que les policiers français ne se sentent pas en 2016, récompensés et honorés à la hauteur des risques qu’ils prennent, du courage dont ils font preuve tous les jours. D’où leur sentiment d’injustice et leur malaise.

Dans ″l’affaire Fillon″ Sandel nous dirait sans doute que l’on ne peut pas, selon la justice et l’équité, invoquer la liberté pour recruter et rémunérer son assistante parlementaire puisque tout le monde n’a pas cette liberté et qu’il s’agit d’argent public et non privé.

Sandel nous dirait aussi que l’on ne voit pas bien en quoi recruter son assistante parlementaire peut accroître l’utilité et le bien-être collectif, encore moins quand il s’agit de son épouse et de ses enfants.

Quant à Aristote (qui a été précepteur d’Alexandre Le Grand), il nous demanderait probablement quel mérite, quel talent et quelle vertu peut récompenser et honorer l’argent versé à Pénélope (et donc à son mari) par l’assemblée des parlementaires élus. Légal ne veut pas dire moral ajouterait Aristote, et seule compte l’équité, c’est à dire la vertu qui consiste à régler sa conduite sur le sentiment naturel du juste et de l’injuste.

Dans le mythe de l’Odyssée, Pénélope (en attendant Ulysse et pour ne pas épouser un autre que lui) défaisait la nuit, la tapisserie qu’elle avait faite le jour. Vingt-cinq siècles plus tard, son époux défait la nuit, ce qu’il a fait le jour…

Justice, Michael Sandel, Albin Michel, 400 p, 2016 (www.justiceharvard.org)
Partagez sur :
Ce contenu a été publié dans Coin Philo, avec comme mot(s)-clé(s) . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à Affaire Fillon : Aristote au secours !

  1. MC dit :

    Aristote dit aussi que la justice est égale pour tous, donc que le parquet financier devrait enquêter sur tous les parlementaires qui emploient leurs proches, et ce depuis 20 ans.
    La morale voudrait aussi que l’on condamne aussi ceux qui ont voté cette entorse à la morale, et qui par cette loi autorisent cette transgression.
    Cette morale que l’on veut nous présenter comme universelle, n’est en fait qu’un code subjectif qui varie avec le temps, les sociétés, les idéologies au pouvoir et l’utilité du moment.
    Et qui peut juger sur quelques indices, sur des indiscrétions orientées, sans connaître tout le dossier en faisant fi de la présomption d’innocence, sans être soi-même injuste et donc immoral ?
    A ce titre 80% des ministres des gouvernements “Hollande” ont été condamnés par la justice (et non soupçonnés) pour trafic d’influence, emploi fictifs etc., pour 3 d’entre eux ce sont leurs enfants, mais ils gouvernent en toute quiétude, alors y a-t-il une morale à géométrie variable suivant l’appartenance politique ?
    La presse manipulatrice focalise notre attention sur le doigt du sage qui nous montre la lune.
    Plutôt que de hurler avec les chacals, regardons la lune et demandons-nous si Fillon est capable professionnellement de diriger la France, car c’est là le but de l’élection: il a un programme à l’inverse de son principale challenger qui me fait penser au joueur de flûte de la fable, qui charme les rats puis les enfants pour les emmener se noyer dans le fleuve….
    L’évangéliste Matthieu conclurait : ne juge point si tu ne veux pas être jugé et Jésus ajouterait : que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre.

  2. JEAN-MARC FOUCHE dit :

    Article plein de sagesse et d’enseignement. Décidément, les citoyens que nous sommes doivent toujours, à un moment quelconque, subir la douche froide de la déception. Facile à vérifier : chaque fois que nous croyons un politicien honnête (après tout, pourquoi cela n’existerait t’il pas? les pays civilisés de type scandinave ont un personnel politique irréprochable), une faille dévoile des tripatouillages, des arrangements douteux etc… Il parait que les hommes politiques sont intelligents. Peut-être, en tout cas, ils n’ont pas encore compris que les administrés que nous sommes sont arrivés à saturation.

Votre commentaire est attendu