Travailler à son bonheur

On peut décider de travailler à son bonheur. C’est ce que Spinoza appelle “rechercher la joie par décret de la raison”. Et contrairement à ce que beaucoup de personnes pensent ou affirment, bien des changements sont toujours possibles en matière d’aptitude au bonheur. Même nos efforts pour nous en rapprocher nous font du bien.

C’est sans doute pour cela que Jules Renard disait : “Le bonheur, c’est de le chercher”

Quels sont ces efforts ? Quels sont les trucs ? En réalité, nous savons déjà tout ce qu’il faut savoir. La plupart des personnes savent parfaitement ce qui est important pour leur bonheur, au moins intuitivement, mais elles ne le font pas.

Lorsqu’elles sont forcées d’y réfléchir, le plus souvent à cause d’un drame dans leur vie (une maladie sérieuse ou le décès d’un proche), elles ne découvrent pas ce qui fait le bonheur, mais elles prennent simplement conscience qu’elles auraient dû s’en occuper plus tôt.

La construction du bonheur ne passe pas par des découvertes de ce que l’on ignorait, mais des prises de conscience de l’importance de faire vraiment ce que l’on savait déjà. Un petit exemple : dans une étude sur de jeunes mères, on s’est aperçu que le temps passé avec leurs enfants n’était pas très riche en états d’âme positifs.

Pour la simple raison qu’elles n’étaient pas avec leurs enfants “dans leur tête”, parce qu’elles essayaient de faire d’autres choses en même temps (ménage, courses, coups de téléphone…) et que leurs rejetons les gênaient alors. D’où ce paradoxe : le temps passé avec leurs enfants en arrivait à être pénible, saturé en états d’âme négatifs. Alors que nos enfants sont notre bien le plus précieux, nous les percevons souvent, dans l’instant, comme des complicateurs ou des stresseurs, parce que lorsque nous sommes avec eux, nous voudrions aussi pouvoir faire d’autres choses.

Les pratiques du bonheur sont ainsi, le plus souvent, une histoire de bon sens. Ce qui ne veut pas dire que le bonheur est simple, ni obligatoire. Lorsqu’on dit que l’on préfère le bonheur et que l’on a envie de le rencontrer plus souvent, certains interlocuteurs se sentent menacés, comme si on allait leur retirer leur droit au malheur. Nous avons évidemment le droit d’être malheureux.

C’est même plus qu’un droit, c’est un destin : le malheur et l’adversité font pleinement partie de l’existence, et ne manqueront pas de s’inviter dans notre vie. Et d’ailleurs, être malheureux, au-delà d’être un droit, n’est-ce pas aussi un besoin ? Les états d’âme négatifs nous sont-ils nécessaires ?

De fait, il existe au moins une raison pour ne pas réprimer ou interdire les états d’âme négatifs : ils mettent les états d’âme positifs en valeur. D’ailleurs, on a montré (et chacun de nous le ressent bien) que plus le niveau moyen de bien-être est important, moins les événements positifs contribuent à ce bien-être.

Par exemple, lorsqu’on vit en démocratie, le fait de voter nous remplit de moins de joie que si c’est le premier vote au sortir d’une dictature. Lorsqu’on est habitué à bénéficier d’une douche chaude tous les matins, elle ne nous fait pas chanter de joie, sauf lorsque nous sortons d’une longue panne de chaudière. Quand nous vivons dans le bien-être, ce qui fait notre bonheur devient banal, le positif devient normal.

Il faut alors soit réactiver notre lucidité, et éprouver le bonheur de l’intérieur par un effort de conscience “bénis chaque jour tes chances !”, soit recevoir une petite dose de malheur pour se recalibrer, à condition là encore d’en faire l’effort.

Le bonheur obéit sur ce plan aux mêmes lois que l’argent : plus on en a, moins en avoir davantage nous rend heureux. Alors que quand on en a peu (parce qu’on est pauvre ou qu’on est un enfant), quelques dizaines d’euros de plus nous réjouiront beaucoup.

Mais inutile de s’appauvrir en bonheur, et de se rendre malheureux : mieux vaut faire un effort de prise de conscience. Nous pouvons ainsi, lorsque nous allons bien, avoir intérêt à revenir parfois sur nos expériences négatives passées. Non pour les ruminer à nouveau, non pour les minimiser, mais pour les accepter, les relativiser, les examiner profondément, et les relire à la lumière de notre joie actuelle. Puis revenir doucement au bonheur présent.

Certains sont plus doués que d’autres pour cette aptitude au bonheur, comme ce veinard de Montesquieu “Je m’éveille le matin avec une joie secrète, je vois la lumière avec une sorte de ravissement. Tout le reste du jour je suis content…”

D’après Christophe André, Sérénité.
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