En se ralliant à Hollande, quelques jours avant le deuxième tour, François Bayrou se suicide plusieurs fois, ce qui est étonnant et plutôt rare pour un seul homme.
Il se suicide d’abord personnellement, car au moment où les tensions droite-gauche s’exacerbent dangereusement dans notre doux pays, il aurait pu, au lieu de prendre position pour Hollande, demeurer un recours possible entre la droite et la gauche, ce qui lui est désormais impossible.
Il tue dans la foulée l’idée même de “centre”, car de deux choses l’une : Soit il y a un vrai espace entre la droite et la gauche, et dans ce cas là, il ne fallait pas prendre position en appelant à voter ni bleu, ni rose, mais blanc, soit il n’y a pas d’espace.
Il suicide aussi sa cohérence intellectuelle, car prendre position pour quelqu’un que l’on a critiqué aussi vertement pendant la campagne et avant (souvenons-nous des mots qu’il a utilisés et du programme “insoutenable” de la gauche) est incohérent et incompréhensible.
Il suicide enfin son propre parti, car le Modem (ou ce qu’il en reste) ne résistera pas aux tensions qu’il a délibérément créées.
François Bayrou n’a jamais réussi, ni à créer un parti qui tienne la route au centre, ni à faire contre-poids à la droite et à la gauche. On se doutait qu’il n’était pas un fin stratège, maintenant, on en est sûr. Mais pour aller à la gamelle (un poste ministériel, une aide à son élection législative … ), on n’a pas besoin d’être un fin stratège.
Pour justifier sa décision, il invoque certaines valeurs. Mais quelle valeur aurait dû invoquer De Gaulle pour régler le problème algérien en 1962 ? Fidélité à la parole donnée ? Et Mitterrand en 1983 ? Fidélité à ses engagements de 1981 ? Le Béarnais sait parfaitement que les politiques utilisent les valeurs comme cela les arrange, parce qu’elles sont floues et aussi parce que la politique est l’art des compromis acceptables et non la fidélité aux valeurs. Dit autrement, il prend les Français pour des idiots (ceci dit, De Gaulle les prenait pour des veaux)
A première vue, son ralliement favorise Hollande, mais rien n’est moins sûr pour au moins trois raisons : Ceux qui ont soutenu Bayrou peuvent se sentir floués (François ne roule que pour lui, comme le dit Simone Weil) et voter en réaction pour Sarkozy. Les orphelins du Modem peuvent vouloir se rapprocher de Borloo, désormais seule figure centriste de poids. Et enfin, son geste extravagant (transgressif diront les psys) peut exaspérer une petite partie des frontistes et les amener à voter Sarkozy au lieu de voter blanc.
Si l’écart entre Hollande et Sarkozy continuait à se réduire d’ici dimanche et si l’élection devait se jouer dans un mouchoir de poche, alors Bayrou pourrait faire élire Sarkozy et devenir ainsi le premier homme au monde, capable en un seul geste de se suicider cinq fois. Sans parler de son suicide probable le 17 juin en tant que député. Bravo l’artiste et vive le Béarn !
F. BAYROU n’est plus. Il ne fait plus partie d’aucune majorité. Requiem in pace dans le Béarn comme certains sur l’île de Ré. Doit-on le déplorer ou s’en réjouir ? A mon sens, ni l’un ni l’autre car doit-on aduler des hommes politiques qui maîtrisent si mal leurs émotions. Faire de la politique c’est semble-t-il oeuvrer pour l’intérêt général et non pour haïr ses concurrents ou leur faire en permanence la morale.
Le vainqueur de dimanche sera celui qui aura démontré qu’en période de crise, il agit et assume, celui qui a levé certains sujets tabous, celui qui a fait passer la nécessité de créer des richesses pour pouvoir les distribuer, celui qui a compris que certains corps intermédiaires jouissent de privilèges exorbitants alors qu’ils ne représentent même pas 5% de la population qu’ils sont censés représenter, celui qui a subi 5 ans durant des critiques permanentes sans craquer, celui qui tout compte fait, car le français a une âme d’avocat des pauvres, mériterait une certaine indulgence et un encouragement au fond de l’urne.