Egalité, compétition, croissance

Réduire les inégalités, lutter contre les inégalités, combattre les inégalités ! C’est devenu une litanie, une idée fixe. Il semble que le seul horizon de nos élites philosophiques, économiques et politiques, ce soit les inégalités.

Quel challenge excitant ! C’est comme si vous proposiez aux gens, non pas d’être plus heureux, mais d’être moins malheureux. On comprend pourquoi les Français battent tous les records de pessimisme et sont dépressifs.

Il y a en France depuis les philosophes et la Révolution, une obsession égalitaire qui conduit à une surenchère toujours plus grande vers l’égalité : Égalité en droit (Déclaration des droits), égalité parfaite (Babeuf), égalité réelle (Aubry), égalité des droits, égalité des situations, société d’égaux (Rosanvallon)

Mais qui a envie de vivre dans une société d’égaux ? Et à quand l’égalité devant le mal de mer, le stress, le vertige, la migraine et la varicelle ? “Quand on aura établi l’égalité des tailles, l’égalité des ventres, l’égalité des nez et l’égalité des esprits, je me soumettrai à l’égalité des situations” disait Maupassant.

Cette obsession égalitaire a des conséquences perverses car vouloir traiter de manière identique des personnes se trouvant dans des situations différentes est le meilleur moyen de perpétuer les injustices et de conforter les privilèges. Par exemple sous prétexte d’égalité, les étudiants riches et moins riches paient les mêmes droits d’inscription. Équitable ?

Ou encore tous les foyers quelque soient leurs revenus touchent les mêmes allocations familiales. Et quand vous demandez pourquoi, on vous répond “Mais voyons, c’est le principe d’universalité des allocations” ; On se pince pour y croire. Dans les familles aisées, le mari dit en toute simplicité “les allocations, c’est l’argent de poche de ma femme” ; Et vous voudriez diminuer l’argent de poche de Madame ? L’horreur !

Autre exemple, une allocation d’autonomie égale pour tous va amplifier les inégalités en pénalisant les jeunes qui sont obligés de travailler pendant leur scolarité. L’Europe s’y met aussi. La Cour de justice européenne a décidé qu’à compter de fin 2012, hommes et femmes paieraient les mêmes primes d’assurance, alors que les femmes ont moins d’accidents. Et sous prétexte d’égalité, on n’aurait même plus le droit de dire à une jeune fille “Mademoiselle” ? Je proteste !

Cette obsession d’égalité est surtout contre-nature, car progrès, compétition et inégalités sont indissociables. Pourrait-on progresser dans tous les domaines, scientifique, économique, politique, sportif, artistique… sans que les acteurs entrent en compétition ?

Et qu’est-ce que la compétition et l’innovation, sinon le refus d’être égal aux autres ? Un entrepreneur conquérant se croit-il l’égal d’un autre ? Et avons-nous vraiment envie de nous passer d’un Steve Jobs ?  Combien de concurrents du Vendée Globe auraient pris la mer, si on les avait convaincus qu’ils se valaient tous ? Et faudrait-il qu’ils aient le même argent, le même entraîneur, le même médecin, le même régime alimentaire, les mêmes GPS, les mêmes bateaux, la même endurance et le même talent ?

La compétition n’est-elle pas une vertu, quand elle conduit à nous surpasser et à nous découvrir dans l’effort créatif ? Pourquoi les fortes croissances sont-elles toujours liées à de fortes inégalités ? Peut-on, en même temps, réduire les inégalités et créer de la croissance ?

Les réformes de l’Etat Providence réalisées par Gerhard Schröder dans les années 2000 et qui ont redressé l’Allemagne, ont été faites en acceptant une augmentation des inégalités. Fallait-il ne pas réformer au nom de l’égalité ? Tous les pays à forte croissance comme aujourd’hui Israël, acceptent un accroissement des inégalités.

Quel degré d’inégalité faut-il accepter pour favoriser la compétition et la croissance sans créer trop de frustrations ? Voilà la vraie question mais elle est taboue et personne n’ose la poser. Alors posons-la, avant de tomber dans “la rage égalitariste“¹

¹ Christian Saint-Etienne, Stratégie pour demain.
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1 réponse à Egalité, compétition, croissance

  1. Vincent dit :

    Super billet!
    Un vrai sujet de débat, une grande réflexion philosophique…
    Merci de rappeler que l’Allemagne est un pays très inégalitaire. On a tendance à l’oublier facilement !
    Merci.
    A bientôt

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