Dans ce royaume à fleur de peau qu’est devenue la France, le sort d’Emmanuel Macron, ministre réformateur à la fois atypique et brillant, va éclairer toute la fin du quinquennat. Depuis décembre, les revolvers de la gauche ultra sont pointés contre lui, tandis que la rue résonne de l’indignation des professionnels du droit n’admettant pas de perdre une partie de leurs privilèges séculaires.
A 36 ans, M. Macron avec son projet de loi “croissance et activité” est devenu la dernière cartouche du roi. Il vit son baptême du feu politique sans savoir s’il finira comme Turgot ou Necker.
Turgot (1727-1781), l’économiste choisi par Louis XVI en 1774 pour réduire les déficits et relancer la croissance. Comme lui, Macron pourfend la rente, déverrouille, libéralise à tout-va : les professions réglementées, le commerce, le travail du dimanche.
Pour faciliter les échanges, il allège la réglementation sur les autocars comme Turgot l’avait fait avant lui en créant les “turgotines” ces diligences rapides capables de relier Paris à Marseille en huit jours, contre douze auparavant. On peut bien sourire, le parallèle est frappant.
Macron comme Turgot pensent qu’il faut créer “des richesses par le travail” avant de les “distribuer”. Leur action bouscule les situations acquises, coalise contre leurs auteurs toutes sortes de corporatismes et de conservatismes qui n’ont a priori aucun intérêt commun. Cette fronde finira par avoir raison de la bienveillance du roi. Au bout de deux ans, Turgot entrera en disgrâce.
Necker (1732-1804), deuxième homme fort de l’Ancien Régime agonisant. Ancien banquier d’affaires comme Macron. La cour regarde de haut ce Genevois néophyte en politique, et qui plus est protestant, mais l’opinion publique le soutient. Comme elle soutient aujourd’hui Macron contre ceux qui lui reprochent de ne pas être du sérail et de ne pas penser comme eux.
Plus la gauche lui tombe dessus en dénonçant une dérégulation libérale, voire une régression, selon les mots de Martine Aubry, à propos du travail du dimanche, plus les Français appuient cet homme de finances qui se revendique de gauche : 70 % d’entre eux sont favorables à l’ouverture des magasins le dimanche, 64 % sont d’accord pour mettre en concurrence les professions réglementées et 58 % voteraient sa loi.
Comme si les Français, enkystés dans un chômage de masse, étaient mûrs pour la révolution, avec une longueur d’avance sur leurs représentants politiques. Victime de cabales, Necker fut contraint à la démission en 1781, avant d’être rappelé en 1788, porté par l’opinion publique. Trop tard, cependant, pour sauver la royauté…
D’après Françoise Fressoz, le Monde, décembre 2014