C’est un étrange phénomène qui se répand dans certains squares. Les bancs prévus pour les parents se vident. Les adultes restent collés au toboggan ou à l’échelle de corde. ” Tu veux que je te tienne ? Fais attention ! ”
Pas question de risquer une chute, malgré le rembourrage des sols. Dans des villes américaines, les balançoires ont été retirées des cours d’écoles. Trop dangereuses…
Aux yeux des parents, la cour de récréation ne compte jamais assez de surveillants. La cour idéale fantasmée par nos parents hyperprotecteurs, c’est une cour, sans conflits, sans chagrins et surtout sans risques. Mais comment peut-on apprendre la sécurité sans se confronter aux risques ? Rien ne sert de connaître les règles si l’on n’apprend pas à repérer les instants où les appliquer.
Même chose pour les disputes. Si les adultes interviennent systématiquement en médiateurs, ils privent les enfants d’un apprentissage nécessaire. Comment peut-on enseigner à gérer ses affects et les conflits, son rapport à l’autre, la frustration et le chagrin, en préservant les enfants de tout désagrément émotionnel ?
L’enfance est devenue une période d’investissement et son temps doit être rentabilisé. Pourquoi des récréations aussi longues alors que le temps du déjeuner pourrait être exploité pour du soutien scolaire ? C’est avec un tel raisonnement que l’on abîme nos enfants. Les petits d’homme, encore plus que les autres mammifères, jouent, non pas au lieu d’apprendre mais pour apprendre. Ils découvrent les possibilités de leur corps, la gravité, les forces, les risques. L’espèce humaine n’aurait pas survécu si elle n’était pas douée pour évaluer les dangers.
Socialement, le jeu et les disputes sans supervision d’adulte forme au contrôle des émotions, aux négociations avec les autres, à la médiation. C’est ainsi que se constitue la confiance en soi. Rien de ce que nous faisons, aucun jouet, aucun cours auquel nous inscrivons nos enfants ne peut rattraper la liberté que nous leur prenons. En les confinant dans des cadres supervisés par des adultes, on les prive du temps et des occasions dont ils ont besoin pour se prendre en charge. Et ils finissent par s’en croire incapables eux aussi.
Un des critères essentiels pour être heureux, c’est d’avoir le sentiment d’exercer un contrôle sur sa vie. Comment des enfants peuvent-ils apprendre à se relever s’ils n’ont plus jamais l’occasion de tomber ?
L’Assemblée vient de voter l’interdiction des téléphones portables dans les écoles et les collèges. L’objectif affiché par le ministre de l’Éducation a tout pour emporter une large adhésion : faire en sorte que, moins distraits par leur appareil, les jeunes se concentrent davantage sur leur travail, mais aussi sur les relations réelles qu’ils peuvent tisser avec leurs camarades, par opposition aux relations virtuelles. Il s’agit donc de poser quelques limites pour que les élèves soient plus présents aux connaissances et aux personnes qu’ils rencontrent au sein de l’école.
Mais l’interdiction des téléphones est source d’une autre vertu : celle de rendre les jeunes plus indépendants… vis-à-vis de leurs parents ! En effet, l’essor des portables chez les jeunes n’est pas le seul fait de leur goût pour les réseaux sociaux. Les autres responsables en sont bel et bien leurs parents, qui équipent leurs enfants d’un téléphone, de plus en plus tôt, afin de pouvoir les suivre à la trace.
Ce phénomène participe d’une tendance plus générale, celle de la surprotection des enfants. En quelques décennies, l’éducation s’est radicalement transformée. Autrefois forme de surveillance lointaine agrémentée de pics d’intervention, elle ressemble désormais à une supervision de chaque instant.
Au sein du foyer, d’abord, puisque les parents passent plus de temps avec leurs enfants. À l’extérieur, ensuite : alors qu’hier les enfants allaient seuls à l’école et jouaient dehors avec leurs camarades, cette perspective est aujourd’hui insupportable à la plupart des parents. Dans le meilleur des cas, ils les autorisent à faire des sorties en solitaire, à condition qu’ils soient joignables par téléphone. Dans le pire des cas, ils se transforment en chauffeurs, les conduisant vers diverses activités extrascolaires hautement sécurisées.
Conséquences de cette nurserie : plus on protège nos enfants, moins ils deviennent résilients, c’est-à-dire aptes à réagir et à s’adapter. Peu habitués à voir surgir le danger, ils sont déstabilisés quand il arrive. Il y a urgence à s’interroger sur la façon dont nous armons nos jeunes pour demain.
D’autant que les enfants sont plus endurants que des athlètes. Des chercheurs viennent de démontrer que les enfants sont aussi résistants à un effort physique intense que des adultes. Plus impressionnant encore, ces marmots récupèrent plus rapidement que des athlètes qui s’entraînent six fois par semaine. Alors vive les genoux écorchés et le mercurochrome !
Bien d’accord avec vous !