L’ambiance est solennelle en ce lundi matin, dans la salle de réunion d’une PME en marketing. Cinq pupitres sont installés au fond de la pièce, d’où cinq chefs de projet proposent un plan de bataille pour la semaine, à coups d’affiches et de slogans. Assis sur sa chaise dans un coin de la pièce, à côté des autres salariés, un homme un peu plus âgé veille discrètement à l’équilibre du temps de parole, glisse quelques mots de-ci, de-là, pour avancer dans l’ordre du jour… Il n’est autre que le directeur de l’entreprise.
Votera-t-il pour le meilleur projet ? Sûrement pas, personne ne sortira d’ici tant que les cinq ne se seront pas mis d’accord, et lui n’interviendra pas. Même en cas de conflit, il ne prendra pas parti par peur de défavoriser ou de frustrer certains salariés, et il fera le choix du laisser-faire.
En leur octroyant sa confiance, ce manageur est simplement au service de ses collaborateurs : il fait preuve de “servant leadership“, un oxymore que l’on peut traduire par “leadership serviteur” ou “animation serviable”. Le concept est à mettre au crédit de Robert Greenleaf, pionnier du management dans le groupe américain AT&T : “Le meilleur dirigeant est d’abord un serviteur”, peut-on lire dans son ouvrage The Servant as Leader (1970). Ce dernier postule qu’un dirigeant “leader avant tout” aurait tendance à privilégier ses intérêts personnels, ce qui desservirait la performance de l’organisation.
WeMaintain, une entreprise spécialisée dans la maintenance réglementée des immeubles, s’est convertie : “On voulait couper avec le management autoritaire, se souvient le cofondateur Tristan Foureur. C’est plus un état d’esprit qu’une méthode : il consiste à écouter les personnes, faire preuve d’empathie, être à l’opposé du micromanagement. Les 150 salariés sont divisés en équipes autoconstituées, qui définissent elles-mêmes leur management et leurs missions.
Entreprise libérée, pyramide inversée, management horizontal, holacratie… Cette image d’Épinal du chef qui ne cheffe pas vraiment tourne en boucle, mais force est de constater que la fin des chefs n’est pas pour demain.
Par ailleurs, s’il ne tranche plus et n’anime plus rien, le patron “aux petits oignons” a-t-il encore une raison de venir travailler ? Le blues du petit chef dépossédé de son autorité ne dure qu’un temps, assure Tristan Foureur : “Pour certains manageurs, lâcher la bride peut prendre du temps, mais, au fur et à mesure, ils se rendent compte que leurs équipes sont plus performantes quand elles ont la liberté de gérer leur budget.”
Et cette bienveillance s’apprend : le manageur doit être plus disponible, notamment quand un salarié s’interroge sur son évolution de carrière. Tel un sage surplombant le bruit des missions quotidiennes, il doit garder une vision d’ensemble pour intervenir à la demande et montrer l’exemple.
Ce leader serait donc une sorte d’antihéros humaniste et humble. Si, pour Napoléon, “un chef est un marchand d’espérance” (vers 1797), il deviendrait ici un marchand de chouquettes, un gentil papy gâteau faisant l’intendance et organisant des séminaires… Mais gare à ne pas trop surjouer la posture du patron affectif, qui ferait alors du “servant leadership” un nouveau paternalisme en entreprise !
En tout cas, derrière l’autonomie affichée, il est fort probable que le leader montre la voie quand les équipes ne résolvent pas un conflit. Et rappelle à l’ordre ses salariés, si le débat tourne à la foire d’empoigne. Bref, bienveillance et fermeté ; un subtil mélange sucré/salé !