Si son fils Marcel ne lui avait pas fait tant d’ombre, le père, Adrien, eût été la star de la famille Proust. Car lui aussi était un grand auteur, mais dans un autre registre. Ses premières armes anti épidémies, le jeune agrégé de médecine les affûte dans la capitale, en luttant contre la vague de choléra qui s’abat sur Paris et l’Europe en 1865, arrivée par la mer à Marseille depuis l’Égypte.
Les patients affluent, il n’existe aucun traitement, près d’un sur deux meurt. Même punition l’année suivante. Proust, doté d’impressionnantes compétences physiques et intellectuelles, se fait remarquer de ses supérieurs pour son sang-froid. S’il n’a jamais contracté de maladie, c’est pour avoir su garder une distanciation sociale et s’être lavé les mains et le visage régulièrement, sans oublier l’aération des pièces. Il prône aussi la quarantaine et même la séquestration, le mot de l’époque pour confinement.
En 1869, ses talents d’hygiéniste lui valent d’être choisi, par les ministres du Commerce et des Affaires étrangères, pour une mission de la plus haute importance. Il est chargé de remonter les chemins empruntés par les épidémies du Levant jusqu’aux portes de l’Europe. Il s’agit de comprendre comment les épidémies de choléra, de fièvre jaune, de variole ou de peste se faufilent jusqu’à nous. Il doit s’assurer des installations sanitaires mises en place par les États pour les contrer. L’Indiana Jones de l’hygiène internationale emprunte tous les transports possibles : train, bateau et même dos d’âne.
Son expédition débute par quatre jours de train jusqu’à Saint-Pétersbourg, alors capitale de la Russie, où il retrouve un médecin russe qui sera son guide. Toujours en train, il gagne Moscou, puis Nijni Novgorod sur la Volga. Un bateau à vapeur l’amène à Astrakhan, sur les rives de la mer Caspienne. En chemin, il s’enquiert de l’état des structures sanitaires chargées d’isoler les voyageurs malades venus de Perse par le Caucase.
Puis il emprunte un bateau à roues et débarque à Bakou. Les établissements de quarantaine y étant en ruine, il presse les autorités russes d’y bâtir un établissement sanitaire digne de ce nom. Après 7 000 km et 18 jours de voyage, il se joint à une caravane et se rend à cheval à Téhéran. Dans la capitale de la Perse, grâce à l’influence du médecin du chah, il obtient des autorités la création d’un conseil de santé international pour le choléra, ainsi que le principe de la présence de médecins sentinelles russes dans les ports perses de la Caspienne. Ils seront chargés de signaler le passage de maladies contagieuses.
Proust rebrousse chemin vers Bakou. À travers collines, steppes et lacs desséchés, il croise chameaux et nomades. À Constantinople, le grand vizir le décore de l’ordre du Médjidié. Après trois mois d’un voyage harassant (14 000 kilomètres) il rentre en France, convaincu que pour contrer les épidémies, les contrôles doivent s’effectuer au plus près des foyers infectieux.
Convaincu que l’hygiène est le meilleur moyen de lutter contre les virus et qu’elle est une cause planétaire, il n’a de cesse de plaider pour la création d’un office international d’hygiène publique et milite pour que les Britanniques, qui dominent le monde, adoptent des contrôles sanitaires plus stricts afin de protéger l’Europe des épidémies.
Il incite à améliorer les égouts et martèle la nécessité de consacrer des fonds publics à l’assainissement pour prévenir le retour de maladies. “Si un citoyen ou une ville manquent aux lois de l’hygiène, ils deviennent un danger pour les voisins et les cités du même pays”, écrit-il en 1889. En 1907, l’instance mondiale qu’il a tant appelée de ses vœux de son vivant est créée : l’Office international d’hygiène publique, l’ancêtre de l’OMS.
Chapeau l’artiste !
Bel article sur une personnalité oubliée. L’histoire de la médecine montre que l’hygiène a eu beaucoup de mal à s’imposer. Au 19ème siècle, les chirurgiens passaient de la salle de dissection de cadavres à la salle d’opération en gardant la même blouse !