Chaque société possède sa propre forme d’équilibre entre le pouvoir (État, entreprise, famille…) et l’autonomie des individus.
Dès leur avènement, par exemple, les sociétés démocratiques se sont demandé comment un homme pouvait rester libre tout en travaillant pour une entreprise.
Au 18°, au 19° mais aussi au 20° siècle, l’Allemagne, le monde anglo-saxon et la France ont donné des réponses différentes à cette question. En Allemagne, un homme reste libre s’il participe à un processus de décision partagée. En Angleterre et aux États-Unis, il reste libre si le contrat fixe clairement les limites du pouvoir à qui il rend des comptes.
En France, il reste libre si le pouvoir respecte les privilèges et les traditions du corps professionnel auquel il appartient. Pour le modèle d’autorité français, le métier est central : il est censé protéger l’individu de l’arbitraire, de l’arrogance ou du mépris, garantissant ainsi l’honneur du travailleur.
Cette tradition de l’honneur naît au Moyen Age, mais elle traverse remarquablement les siècles, même si elle est sans cesse réinterprétée. Quand on lit le manifeste de l’abbé Sieyès, “Qu’est-ce que le tiers état ?” on voit bien que les révolutionnaires veulent être honorés suivant les valeurs d’Ancien Régime.
Et pour Aristote, on doit avant tout honorer les hommes selon leurs vertus.
Aujourd’hui encore, c’est le sens de l’honneur qui gouverne, en France, la manière dont les relations de travail sont ressenties. Elles paraissent satisfaisantes si on accomplit les tâches demandées non par peur ou par intérêt, mais en respectant ses propres critères d’un bon travail : que l’on soit tourneur-fraiseur, professeur ou médecin, on respecte les règles de travail élaborées par son corps de métier.
Dans cette conception, l’honneur est à la fois une revendication d’indépendance et une exigence professionnelle. La hantise, c’est de déchoir, soit parce qu’on subit des pressions incompatibles avec la dignité de son travail, soit parce qu’on n’est pas à la hauteur des devoirs de sa charge. L’honneur est donc à la fois un moteur de révolte et un moteur d’adhésion et d’engagement. À méditer pour tous les managers….
Un dirigeant, dans ce monde d’honneur, est quelqu’un qui est à la fois capable de comprendre les différents métiers qui composent son entreprise et d’avoir une grande vision globale de celle-ci et de ses projets. Il y a donc, en France, une exigence de grandeur à l’égard de tous ceux qui détiennent l’autorité.
Avec ce sens de l’honneur et de grandeur en tête, on comprend mieux pourquoi un président français ne peut pas être un dirigeant normal au sens où François Hollande l’entendait et aussi pourquoi notre président souhaite être un président jupitérien.