Trogne cabossée, gouaille, décontraction, énergie physique, présence explosive, rouerie sympathique, amuseur canaille qui faisait rougir la boulangère, intrépidité légendaire qui le faisait exécuter lui-même les cascades de ses films… Le panache français, c’était lui.
Son baptême légendaire, ce fut un jour de 1956 où privé de prix par le Conservatoire, il fit un bras d’honneur au jury et sortit de la salle, porté en triomphe par ses amis.
Dans le coton épais du précautionnisme frileux qui semble désormais régir nos existences, Jean-Paul Belmondo était un antidote, notre petite dose de Cyrano. Il ne s’agit pas seulement de ses personnages, mais aussi de sa propre histoire : celle du gamin qui se suspendait par les pieds du cinquième étage de la cage d’escalier, du jeune homme qui faisait les quatre cents coups au Conservatoire et du récidiviste des cascades, donnant des sueurs froides à un ministre de l’Intérieur chargé de délivrer une autorisation.
En France, le risque a depuis un certain temps mauvaise réputation, au point que nos politiques n’ont que le mot “protéger” à la bouche. Attachez ceintures et bretelles !
Nous avons tous nos professeurs de liberté, que l’on regarde avec admiration et qui nous aident un jour à sauter le pas. Belmondo, pour beaucoup, a certainement ce rôle de souffleur d’audace. Au point qu’un passager s’était tourné vers lui dans un Concorde dont un des moteurs était tombé en panne, lui lançant : “Mais faites quelque chose, vous !
“Le Magnifique” a incarné cette France insolente, bravache, gaullienne en version endiablée, spirituelle et musclée à la fois. Une France qui faisait dire à Bernanos que “l’avenir est quelque chose qui se surmonte. On ne subit pas l’avenir, on le fait”
Tout commence avec “la rencontre d’un type un peu trouble en lunettes noires qui trainait à Saint Germain-des-prés”, Jean Luc Godard avec qui il accepte de tourner un film improbable, improvisé, tourné à la diable, sans vrai scénario, dont il pensait qu’il ne sortirait jamais et qui va dynamiter le cinéma français : “À bout de souffle”
L’onde ne s’arrêtera pas, les carambolages non plus. Dans “Un singe en hiver”, il joue au torero, ivre mort, avec des voitures. “Le Picon-bière c’est moitié-moitié ? interroge la serveuse du bistrot” ; ” Ça peut le devenir, répond t-il, mais pas maintenant, je ne saute pas l’obstacle sans élan”
En fait si : l’élan vient de loin, Belmondo est né avec. Il se permet même des allers-retours entre le cinéma d’art et d’essai et les comédies à grand public, passe de Jean-Luc Godard à Philippe de Broca sans se pincer le nez. En France, où le snobisme pelliculaire est devenu un art à part entière, cela ne se fait pas. Pensez : 58 films à plus de 1 million de spectateurs, c’est mal…
Il aurait pu s’abandonner à l’amertume ruminant ce mot de Bernanos (encore lui) : “Les ratés ne vous rateront pas” ; Il n’a pourtant renoncé ni au drame ni au rire. À rien, d’ailleurs. René Clair lui trouvait une sale gueule qui l’empêcherait de faire du cinéma et son prof du Conservatoire lui assurait qu’il ne pourrait jamais plaire aux femmes… lui qui a vécu avec de sublimes beautés.
S’il est une leçon à retenir de la vie de Belmondo, elle est là : mort à la gueule de l’emploi. Belmondo, l’homme qui boxait les complexes est parti. Qui relèvera ses gants ?