Il est 15 heures à Central Park. Sans surprise, on y retrouve tous les clichés habituels : des parents avec leurs poussettes, des retraités sur des bancs, le gazouillis des oiseaux et… une meute de promeneurs en costard ou tailleur.
Ce ne sont pas des touristes, ils n’ont pas d’audioguide sur les oreilles. Ce ne sont pas non plus des joggeurs, malgré leur montre connectée bipant pour indiquer qu’ils ont dépassé le seuil des 10 000 pas aujourd’hui. Non, ce sont des salariés en réunion, en cowalking ou walk and talk.
Le cowalking, que l’on pourrait traduire par réunion-promenade, se définit comme une alternative aux réunions traditionnelles. Qu’elle s’éternise pour cause de monologue de Bernard, qui aime donner son avis sur tout, ou qu’elle devienne une sieste collective devant les 873 diapositives du dernier business plan, la réunion à l’ancienne est celle où l’on perd du temps. Le walk and talk est né aux Etats-Unis lors des conférences de Steve Jobs, le fondateur d’Apple.
L’objectif le plus clair est de rattraper le temps perdu : un cowalking digne de ce nom dure une demi-heure tout au plus, s’établit sur un circuit prédéfini et doit aboutir à une décision. La prise de notes étant périlleuse en mouvement, il faut garder l’essentiel, débattu en un ou deux kilomètres. Il ne s’agit pas de faire du corandonning ni même du comarathoning, au risque de perdre quelques salariés en route…
Ce type de réunion se distingue souvent par la taille : son petit comité (entre deux et quatre personnes) est censé faciliter la discussion franche et effacer les liens hiérarchiques. Cela permet aussi de s’affranchir du manque de confidentialité de l’open space, où souvent les oreilles traînent. Pour des raisons logistiques, il est par ailleurs difficile d’envisager 20 personnes marchant au même niveau sur un trottoir. Mais on peut toujours essayer…
Bien avant Steve Jobs, les philosophes de toutes les époques ont vanté les vertus de la déambulation. Aristote enseignait au lycée d’Athènes en marchant avec ses élèves, dans l’école péripatéticienne, littéralement “qui aime se promener”. Plus tard, Jean-Jacques Rousseau découpait sa dernière œuvre “Les Rêveries du promeneur solitaire” en dix promenades. “La marche a quelque chose qui anime et avive mes idées : je ne puis presque penser quand je reste en place, développe-t-il à ce sujet dans Les Confessions” ; “Il faut que mon corps soit en branle pour y mettre mon esprit” disait Montaigne.
Cette pratique stimulerait donc la créativité. Sur un pied d’égalité, en pleine émulation, chacun a son mot à dire.
Cette mode vise enfin à lutter contre la sédentarité de l’employé de bureau, en se dépensant de manière utile. En cela, le cowalking rejoint le walking desk où le salarié travaille sur un tapis roulant comme un hamster dans sa roue, ou le stand-up meeting, réunion debout pour éviter les avachissements.
Requinqué après sa promenade, le salarié serait prêt à retourner au bureau sans traîner des pieds. Reste à savoir si… ça marche.