Dans la radicalisation, l’effet de la communauté imaginaire d’appartenance est fondamental.
En s’identifiant à une “néo-oumma” (communauté musulmane chaleureuse et mythiquement homogène) dont il appelle l’existence de ses vœux, le jihadiste tente de se démarquer de la société froide dans laquelle il vit.
Société froide où l’anomie (la non-appartenance à un groupe conférant l’identité) va de pair avec la stigmatisation et l’insignifiance sociale, liées à un statut perçu comme inférieur.
Ce sentiment d’appartenance fait surmonter à l’individu sa stigmatisation et le pourvoie d’une identité nouvelle. “Born again” (régénéré), il voit s’inverser son statut vis-à-vis de la société dont il devient l’ennemi implacable. Alors qu’il était de statut social inférieur, il devient un héros de l’islam qui se décline désormais comme “religion des opprimés”
Vis-à-vis du monde extérieur qu’il entend combattre, il assume un statut de “héros négatif” et plus il sera craint, détesté et rejeté par ce monde peint en noir, plus il en tirera gloire. Il est désormais, héros pour ceux qui partagent son credo et ennemi public numéro un pour les autres.
La dimension narcissique s’ajoute à la dimension rationnelle par le biais des médias. Il sera connu du monde entier, il sera grandi et magnifié par les médias qui sont pourtant du côté de l’adversaire.
L’aspiration à infliger une humiliation encore plus grande à un Occident arrogant et, par-delà, à un monde hostile aux idéaux que l’on professe, est l’autre facette de cette idéologie extrémiste et radicale. Celle-ci est à la fois intra-mondaine (humilier, rabaisser, lutter férocement contre l’ennemi ici et maintenant) et extra-mondaine (attendre l’intervention divine pour annihiler l’ennemi plus puissant).
De nombreux individus en Occident qui souffrent de l’anomie et de la déstructuration des liens sociaux, trouvent dans la Toile jihadiste une communauté d’autant plus attrayante qu’elle procure un sentiment intense d’appartenance, le sentiment que l’existence trouve enfin un sens dans la lutte contre un ennemi perfide (l’Occident) et surtout, qu’en luttant contre cet Occident maléfique, on expulse de son âme la part du diable qui s’y est infiltrée.
L’Internet jihadiste opère une fonction d’exorciste et rassure l’individu sans lien social et comme désaffilié en l’insérant dans une communauté salvifique.
Les nouvelles formes d’extrémisme et de radicalisation, dont le jihadisme est la forme dominante depuis plus d’une décennie, sont l’indice d’un profond malaise dans le monde moderne. Ce malaise dont Durkheim parlait en termes de rupture du lien social combinée à l’exclusion économique, au sein d’une culture de masse égalitaire par essence, engendre un mal nouveau.
La mondialisation est allée de pair avec un sentiment d’oppression et de frustration qui n’est plus idéologiquement encadré, comme il l’était au temps de la guerre froide.