Comment expliquer la ferveur et l’émotion intense qui ont saisi une bonne partie du pays, après la disparition de l’icône des jeunes ? Voici huit bonnes raisons.
Ni père, ni mère : “Mes tendres années n’ont rien d’un conte de fées” disait-il. Son père qu’il n’a jamais connu refusait qu’il aille à l’école ; “Sans papa, sans héros, sans homme à la maison, je me sentais affreusement différent des autres” ; C’est sa tante Hélène, une battante que rien n’arrête qu’il appelle maman, qui lui apprend le chant et la musique. Mais c’est justement dans la tragédie de l’absence des parents, que l’enfant va apprendre à s’adapter, à survivre dans toutes les situations et à se fondre dans son environnement tel un caméléon.
Débuts difficiles : Comme Aznavour (qu’il aurait souhaité avoir pour père et qui a écrit pour lui “Retiens la nuit”), il est à ses débuts, hué, sifflé, moqué par un public bourgeois qu’il scandalise et effraie. “À Paris, il y a 8.000 gratteurs de guitare… changez de métier” lui dit un patron de cabarets. Il est déçu mais pas démonté “Exister, c’est insister” pense-t-il. Humiliation, rage, désespoir, les vrais racines du blues… Et il ira vérifier son intuition de rockeur, devant les GI des bases américaines.
Souvenir des années 60 : Les années 60 sont une parenthèse enchantée pour la France avec une formidable croissance qui fait doubler, entre 1955 et 1970, le niveau de vie. Les jeunes s’autonomisent, ont leur chambre, leur argent de poche, lisent leurs magazines “Mademoiselle âge tendre”, écoutent leurs émissions. On estime que la moitié des jeunes écoute l’émission d’Europe 1 “Salut les copains” entre 17 et 19h. Et c’est un auditoire très populaire (40% de la population est alors ouvrière). Les aînés grincent des dents et ne comprennent pas cette génération insouciante, eux qui ont eu à subir la guerre. C’est un vrai basculement générationnel et culturel.
L’énergie : De Gaulle suggérait “d’envoyer Johnny casser des cailloux sur les routes pour résorber son trop-plein d’énergie” ; On l’a souvent cru fini, foutu, perdu, mais il a allumé le feu pour s’en sortir. Il va malgré les difficultés, les désillusions, les modes qui passent, toujours rebondir et se remettre dans le courant. C’était un prince de l’énergie, une force volontaire, combative, défiant l’âge, le vieillissement, la maladie, et comme Victor Hugo “une force qui va” ; Johnny c’était l’éternelle naissance (Etienne Gernelle)
L’épopée : 50 ans de carrière, 110 millions de disques, 200 tournées, 30 millions de spectateurs et le 10 juin 2000 sous le scintillement de la tour Eiffel, devant 600.000 fans jeunes et moins jeunes, un concert fou et gratuit qui a nécessité 17 semi-remorques de matériel, des centaines d’ouvriers, 1.000 policiers et une ardoise de 41 millions de francs. Chaque fois c’est une succession de défis tous plus fous les uns que les autres, avec chaque fois la barre plus haute. Comment oublier tout cela ?
Fragilité et doutes : Qui nous rappellent qu’on aime aussi les gens pour leurs faiblesses. Il était obsédé par la mort et avait, comme les enfants, des angoisses nocturnes. “Dès que la nuit tombe, je suis angoissé” ; Il aurait voulu être comédien. Son modèle de vie, c’était James Dean et “la fureur de vivre”. Son indestructibilité, Johnny la puisait dans sa permanente destruction. C’était une force d’acier bâtie sur toutes ses faiblesses, la cicatrice suprême (Yann Moix)
L’instinct : Il avait un fond de sagesse, un instinct très sûr, une vista, une intuition qui lui ont permis d’échapper à tous les conformismes, surtout à celui des premiers rock’n’roll. Et quand le temps sera venu, il saura trouver les compositeurs les plus talentueux comme Berger et Goldman pour réaliser ses meilleurs albums.
On a tous en nous quelque chose d’Hallyday : Les enfants qui se sentent délaissés par leur père, les ados qui cherchent leur voie et qui se souviendront “qu’exister, c’est insister”, ceux qui ne sont pas heureux dans leur couple et qui trouveront la personne qui les apaisera, les insoumis qui veulent “allumer le feu”, les couples qui ne peuvent pas avoir d’enfant mais qui en veulent, les chanteurs débutants qui prendront exemple sur sa voix puissante (c’est grâce à la scène qui oblige à travailler l’expiration, disait-il, que ma voix devient de plus en plus forte et puissante, alors qu’avec l’âge, c’est d’habitude l’inverse), et aussi les chanteurs et musiciens accomplis qui prendront exemple sur “le patron” pour ne rien laisser au hasard et s’inspirer des meilleurs…
Voilà pourquoi, par un beau dimanche ensoleillé de décembre, une foule étonnante de jeunes et de moins jeunes (la plus importante après les obsèques de Victor Hugo et de Piaf) s’est prise d’une ferveur intense et d’une incroyable émotion pour Johnny Hallyday, qui est dans une France morose un trait de lumière. Quoi ma gueule ?