Les nouvelles années folles

Cinquante ans après “Il est interdit d’interdire” (1968), on entre dans le temps des crispations identitaires et des interdits de toutes sortes.

Wokisme et cancel culture : Être woke (éveillé), c’est être conscient d’être un dominé ou un dominant, et d’agir en conséquence : Si l’on est un dominé (femme, noir, pauvre, homosexuel, transgenre…), s’organiser politiquement autour de cette souffrance partagée avec les autres membres de sa communauté. Si l’on est un dominant (mâle, blanc, hétérosexuel, riche, beau…), faire la liste de ses privilèges et s’en déposséder (ou se suicider !)

L’ultra-sensibilité aux discriminations, même mineures, conduit les militants de cette nouvelle culture à restreindre la liberté d’expression en pratiquant la cancel-culture (culture de l’interpellation ou de l’annulation) ; Par exemple, on va empêcher une traductrice blanche de traduire une poétesse noire, ou on va censurer un artiste que l’on accuse d’homophobie.

Antiracisme politique et indigénisme : L’antiracisme politique est employé par de nouveaux militants qui s’opposent à l’antiracisme “universaliste et moral” type SOS-Racisme. C’est la fin du multiculturalisme heureux, version United Colors of Benetton.

Ce nouvel antiracisme postule une barrière infranchissable entre les dominés et les dominants. Cette barrière aboutit par exemple, à des réunions non-mixtes où les membres de minorités peuvent se retrouver entre eux et d’où sont exclus “les dominants”

Constructivisme, théories de la race et du genre : L’abandon des grands récits comme le marxisme qui structuraient la pensée progressiste, conduit au repli sur son identité. Il s’accompagne d’une évolution des sciences sociales vers le constructivisme, c’est-à-dire l’idée que les faits sociaux ne seraient que des constructions sociales (“On ne naît pas femme, on le devient” disait de Beauvoir)

La race devient un déterminisme social que les minorités de couleur doivent se réapproprier. La différence des sexes serait elle aussi, une construction au service de “l’hétéropatriarcat”. Il faut libérer les minorités sexuelles de l’oppression. Et dans cette logique, l’activisme pour la minorité transgenre prend une place centrale.

Colonialité et décolonialisme : La déconstruction du colonialisme puise ses sources dans la pensée française (Sartre, Fanon, Senghor, Foucault, Deleuze, Derrida) qui ont inspiré les campus américains dans les années 1970. Selon ces intellectuels, la colonialité ne serait pas seulement une entreprise de conquête du XIX° siècle, mais une mentalité qui affecte tous les aspects de la vie humaine.

La colonisation serait la matrice de la culture occidentale qui se poursuit par les moyens d’une colonisation capitaliste. Le décolonialisme porte l’idée d’une déconstruction de la culture occidentale : il faut décoloniser les arts, la littérature, les corpus universitaires, les bibliothèques estudiantines, bref désoccidentaliser tout l’Occident.

Intersectionnalité et féminisme intersectionnel : L’intersectionnalité invite à croiser les caractéristiques identitaires d’une personne (genre, classe, sexe, religion, âge, couleur de peau…) pour la placer sur une échelle de discriminations ou de privilèges : Si je suis une femme, jeune, pauvre, noire, issue des îles, lesbienne, je vais cocher toutes les cases de l’oppression. Si je suis un homme blanc, âgé, riche et hétérosexuel, je vais cocher toutes les cases de la domination. Par exemple, dire que les contrôles d’identité ne s’appliquent pas de la même manière pour les hommes et les femmes, pour les jeunes et les moins jeunes, pour les blancs et les autres, c’est faire de l’intersectionnalité.

En pratique, l’intersectionnalité aboutit à l’effacement de la classe au profit de la race et du genre. Elle a donné naissance à un féminisme intersectionnel qui revendique des féminismes différents selon les groupes communautaires : blanc, afro, islamique etc.

Ces identités de plus en plus étroites et cloisonnées créent un double problème : Le nombre de critères identitaires est sans fin (origines, couleur de peau, handicap, profil psychologique, caste, pourquoi pas type de nez…) et plus on croise les critères (les sections), plus on est minoritaire, moins on a d’influence, ce que l’on va chercher à être tenté de compenser par de la crispation et de l’agressivité.

Souhaitons qu’après le flux, vienne le reflux et qu’on puisse un jour, de nouveau respirer.

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