Zemmour et la fenêtre d’Averton

Tout a été écrit sur la candidature d’Éric Zemmour et en particulier qu’elle a contribué à modifier le centre de gravité du débat public. À ce titre, la primaire des Républicains a montré que l’ombre du chroniqueur de CNews planait sur tous les débats au point de placer en tête du premier tour un candidat qui proposait de créer un “Guantanamo à la française”. Cette proposition extrême a eu pour effet de faire passer d’autres idées radicales pour acceptables.

C’est là un effet de l’élargissement de ce que l’on nomme la fenêtre d’Overton, du nom de son concepteur, Joseph Overton, un politologue conservateur. Il utilisait cette image pour désigner l’ensemble des idées considérées comme acceptables par l’opinion. Cette dynamique contribue à placer certains sujets dans cette fenêtre alors qu’ils se situaient précédemment dans l’inadmissible, voire l’inimaginable, c’est-à-dire en dehors du cadre.

Zemmour, bien avant même qu’il fût candidat, avait élargi le dormant de notre fenêtre. Son succès médiatique a montré qu’il était possible de défendre certaines idées sans être exclu du débat public. Cela a enhardi d’autres – plus timorés –, qui n’ont fait voir leur propre radicalité qu’une fois rassurés par la pérennité de la sienne.

Et remarquons que le rire peut aussi permettre d’élargir cette fenêtre d’Overton, l’humour permettant de rendre plus admissible l’inacceptable.

Mais il y a un autre phénomène symétrique : Au lieu de s’élargir, cette fenêtre peut se rétrécir en transformant l’ordinaire en inacceptable. Alors que la droite est aspirée par un mouvement, la gauche paraît, elle, possédée par un mouvement inverse.

De ce point de vue, le succès de Sandrine Rousseau à la primaire d’EELV a du sens. La candidate, qui incarne jusqu’au ridicule la “culture woke”, veut rendre moralement inacceptables et donc exclure du débat public (cancel culture) toute une série de choses jusque-là considérées comme admissibles. Elle fait partie de ces acteurs sociaux qui veulent changer le nom des rues, faire interdire des spectacles et, d’une façon générale, vous inspirer la terreur avant toute prise de parole avec cette menace que vous pourriez révéler votre sexisme, votre racisme caché ou on ne sait quelle abjection morale dont vous seriez coupable.

Nous avons beau les moquer, ils ont tout de même réussi, semble-t-il, à réduire cette fenêtre d’Overton. Nous surveillons nos blagues, faisons acte de contrition, sommes prêts à nous excuser à tout moment.

Ces deux fenêtres, l’une qui s’ouvre, l’autre qui se referme, font souffler un vent mauvais sur le débat public et risquent de nous faire perdre la raison, si l’on n’y prend pas garde.

D’après Gérald Bronner, Le Point décembre 2021
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