“Toutes les civilisations se valent-elles ?” Osez poser cette question et vous risquez un drame épouvantable, un dérapage incontrôlable, une plongée dans l’émotionnel, une accusation de simplisme et un procès d’intention en racisme, esclavagisme, colonialisme, populisme, moralisme, droitisme… et même nazisme.
Comment comprendre qu’au pays de Descartes, certains puissent s’enflammer de la sorte et devenir hystériques, dès que l’on parle des civilisations et de leur valeur ? Quelles mouches les piquent ?
Que dirait notre philosophe-mathématicien pour nous aider à y voir clair et empêcher que l’émotion ne prenne le pas sur la raison ? Il proposerait (sans doute) de trouver un critère d’appréciation simple que chacun puisse comprendre sans que l’on ait besoin de faire appel aux anthropologues, ethnologues, archéologues et autres experts en civilisations qui ne voient la question qu’à travers leurs sciences.
Voici un critère que tout le monde peut comprendre : La valeur d’une civilisation, c’est ce qu’elle apporte et ce que l’on retient. Un adulte ne dit-il pas que ses parents lui ont apporté plus ou moins de choses qu’il retient ? Ce même adulte ne peut-il affirmer que sa mère lui a apporté plus de choses qu’il retient, que son père ou l’inverse ?
Et qu’est-ce qu’une civilisation sinon ce qu’elle apporte et ce que l’on retient, en sciences, médecine, art, littérature, poésie, musique, philosophie, architecture… ? Mais même si les scientifiques, médecins, artistes, écrivains, poètes, musiciens, philosophes et architectes nous ont tous apporté quelque chose à un moment donné, tous ne se valent pas.
La civilisation de l’antiquité grecque qui nous a apporté (en plus du marathon) le théâtre, la politique, la démocratie, la logique, la philosophie et avec elle la capacité de critique et d’auto-critique qui est la caractéristique de la civilisation occidentale, et qui reste après 25 siècles notre référence culturelle, n’a-t-elle pas pour nous plus de valeur que d’autres civilisations ? En quoi est-ce choquant de le penser et de le dire ?
Le Dieu-chien des Aztèques qui aidait les morts à passer dans l’au-delà, nous apporte moins que Platon, sauf si l’on adore les chiens et que l’on ne sait pas qui est Platon. Les dessins et les peintures de la grotte de Lascaux sont émouvants mais nous apportent moins que le dessin de la double hélice de l’ADN, sauf si l’on adore peindre dans les grottes et si l’on ne sait pas ce qu’est l’ADN.
Oui, il y a des grands scientifiques et des grands médecins, des grands artistes et des grands écrivains, des grands philosophes et des grands architectes… plus grands que d’autres. Oui, il y a eu des civilisations plus brillantes que d’autres. Qui ne le sait pas ?
Non, tout ne se vaut pas et non, tout n’est pas relatif. Un opéra de Salieri ne vaut pas un opéra de Mozart, sauf pour ceux qui n’ont jamais entendu un opéra et qui ne savent pas qui est Mozart. Tous les peintres ne valent pas Léonard de Vinci et Michel Ange et tous les architectes ne valent pas Jean Nouvel, Renzo Piano ou Wang Shu (Pritzker Price 2012). Qui peut en douter ?
Si tout était relatif, ce que je pense serait également relatif, il ne servirait à rien de penser et plus rien n’aurait de sens. J’ai le droit de penser et de dire que la civilisation de l’antiquité grecque est très supérieure à d’autres civilisations, comme celles qui prônent la lapidation des femmes, l’infibulation des jeunes femmes et l’excision des petites filles (2 millions de fillettes sont mutilées tous les ans, mais sans doute faut-il relativiser…) ; Et cet exemple suffit à me convaincre que non, toutes les civilisations ne se valent pas.
Dire que certaines civilisations sont supérieures à d’autres, cela dérange qui et pourquoi ? Serait-ce le vieux fantasme égalitaire ou une forme de peur (on n’ose pas s’exprimer sur un sujet “sensible”) ? Ou plus simplement une ignorance de l’essentiel (Socrate c’est le chien du boucher et Sénèque, un parfum pour hommes… ) ; Même si les raisons d’une telle éclosion de génies sur un territoire aussi minuscule que la Grèce antique sont mystérieuses, cela n’empêche pas de les reconnaître.
Oui, il est permis d’évaluer les cultures et les civilisations. Oui, nous avons besoin de repères solides et clairs qui nous servent de guides pour nous préparer aux temps qui viennent. Et ce n’est pas en relativisant tout que nous y parviendrons. “Ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, le principal est de l’appliquer bien” disait notre bon Descartes. Mais que tous ceux qui, pour toutes les bonnes raisons du monde, ne souhaitent pas évaluer les civilisations se rassurent : D’autres le feront pour eux.
Quelques prolongements actuels de la philosophie grecque : “La République de Platon” (Badiou), “Petit déjeuner avec Socrate, une philosophie de la vie quotidienne” (Rowland), “La planète des sages” (Jul-Pépin) parfait pour initier les jeunes et les moins jeunes.
Après la lecture de cet article, nous pouvons prendre l’exemple de la Syrie. En effet, il serait difficile d’affirmer que cette civilisation a une valeur supérieure à une autre civilisation compte tenu de l’actualité sanglante dont fait l’objet cet état.
Merci pour votre commentaire. Mais n’oubliez pas dans notre douce France, le massacre des Cathares en juillet 1209 et celui des protestants en août 1572, bébés, enfants, femmes, hommes, vieillards… mais heureusement pas les chiens.
Vos articles sont généralement intéressants mais cette fois-ci, vous êtes passé à travers.
Je suis en partie d’accord avec vos propos, mais vous ne prenez pas assez de recul face à une question aussi sensible.
Vos arguments ne pèsent pas lourds, vous vous permettez de citer Descartes, mais celui-ci n’aurait-il pas pris plus de recul face à ce sujet ?
Je vous propose de vous ouvrir davantage aux civilisations étrangères et pour les prochaines fois, à écrire des articles où vous pouvez apporter une réfléxion plus pertinente.
Merci pour votre commentaire. Mais on ne voit pas très bien sur quoi vous êtes d’accord et sur quoi vous n’êtes pas d’accord. Où sont vos arguments ? Je n’en vois aucun. Suffit-il de faire part de ses impressions pour bien débattre ? De quelles civilisations étrangères parlez-vous et les connaissez-vous suffisamment pour argumenter ? Prendre du recul c’est bien, mais encore faut-il prendre garde à ne pas tomber à la renverse…
Je pense pour ma part que ce qui apparaît comme la finalité première de ce billet (supposition qui peut paraître prétentieuse, surtout si elle est fausse), à savoir vous interroger sur (et vous élever contre) les réactions outrées, formatées et mises en scènes exprimées lorsqu’un avis qui ne va pas dans le sens du “plus-pensant” est exprimé, réflexion qui pourrait être salutaire par les temps qui courent, prend le risque de ne pas être atteinte pour au moins deux raisons.
La première, est que votre démonstration pourrait laisser à penser que la question a été posée par un philosophe moderne, réellement intéressé par la réponse à cette question, qui n’aurait alors pas manqué de développer sa réflexion, cherchant tout d’abord à définir ce que l’on doit entendre par civilisation (existe-t-il par exemple une “civilisation occidentale” ? Ou bien les civilisations norvégiennes, italiennes et américaines sont-elles civilisations différentes, ce qui amènerait inéluctablement à s’interroger sur les bornes géographiques, mais également historiques que l’on donne à une civilisation (peut-elle notamment comporter des “trous”, ou bien le nazisme s’inscrit-il dans une “civilisation germanique” continue, que l’on ferait commencer aux environs des Francs et des Mérovingiens ? Et allez alors expliquer à un français en 1914 qu’il fait partie de la même civilisation que l’ami Fritz), puis ce que signifie le terme “valeur d’une civilisation » (j’y viendrai après).
Or, chacun le sait, cette tirade a été le fait d’un homme politique dont le dessein n’était en aucun cas la réflexion philosophique, historique, ou scientifique, mais bien le maintien au pouvoir de son chef, qui doit remettre en jeu son titre quelques mois après cette sortie. En quoi ce simulacre de réflexion peut-il aider à remporter l’élection présidentielle. C’est assez évident : miser sur les comportements que vous voulez dénoncer, pour créer une polémique, se faire voir, passer pour une victime, pour celui qui “ose tenir des propos qui dérangent”, en un mot, faire preuve de “courage”. Tiens, un terme qu’on risque d’entendre beaucoup dans les semaines à venir… Et puis surtout, s’appuyer sur la misère actuelle de certains, en détournant leurs yeux de ses vraies causes, complexes et surtout nombreuses (« virtualisation » complète de l’économie, spéculation sur les denrées alimentaires, mondialisation déraisonnée, valorisation de l’oisiveté et de la consommation…) et en les amenant à les poser sur l’ “autre”, non pas l’étranger, la ficelle est trop usée et n’a plus trop de sens tant la nationalité n’a plus qu’une valeur juridique, mais “celui de l’autre civilisation”. Après tout, s’il vaut moins que nous ou que celui issu de civilisations plus proches de la nôtre, ne serait-il pas quelque part un peu responsable de notre situation actuelle ? En tout cas, celui qui le dénonce veut certainement notre bien, et son maintien au pouvoir permettra sans doute de tenir éloigné le danger que représente cette autre civilisation, car puisqu’elle vaut moins, elle représente certainement un danger.
Et en cela, ce discours crée effectivement les mêmes fondations que celles du nazisme, consistant à désigner un « groupe bouc émissaire » pour canaliser le ressentiment d’une population à un instant précis. Mais rien ne permet de dire effectivement que l’on aboutira aux mêmes extrémités de barbarie… Ne doit-on cependant pas s’inquiéter ? Le pompier qui surveille les collines de Provence en plein été ne doit-il pas donner l’alerte dès qu’il aperçoit une colonne de fumée, quitte à se rendre compte par la suite qu’il s’agissait d’un simple barbecue et non d’un début d’incendie qui aurait pu ravager des milliers d’hectares ?
En entretenant un certain flou sur ce contexte, en ne le rappelant pas explicitement, voire en ne le dénonçant pas, vous risquez selon moi d’amener le lecteur à ne pas prendre le temps de la réflexion, et de fermer la page internet hébergeant votre blog aussi rapidement qu’il souhaite fermer sa porte à cette stratégie électoraliste détestable et dangereuse. Vous risquez donc de perdre un auditeur, et surtout un contradicteur pour la réflexion, contradicteur sans lequel évidemment il ne saurait y avoir de réflexion.
Voilà pour le premier écueil.
Le second concerne le fond même de votre réflexion. Encore une fois, je pense qu’il peut être intéressant de se poser la question, et par là même d’oser malmener l’idole de l’Egalité qui nous est enseignée depuis notre plus jeune âge, du moins depuis 1789. Mais là encore, je crains que vous ne perdiez ceux qui restent de vos lecteurs en ne prenant pas, une fois le terme de “valeur” défini (“ce qui nous est apporté par quelqu’un ou quelque chose et ce que l’on en retient”), le temps de nous et de vous interroger sur le fait que la valeur de cet apport peut être extrêmement variable selon le domaine dans lequel on se situe. Ou plutôt, vous le soulignez à la marge, mais n’en tirez pas les conclusions nécessaires. De sorte que vous finissez par comparer deux musiciens d’une même « civilisation », puis une divinité et un philosophe, avant de faire subir ce traitement à une œuvre d’art et une découverte scientifique.
Or, une civilisation peut avoir eu une grande “valeur scientifique” (on a retenu beaucoup d’elle sur ce plan), mais avoir une valeur beaucoup plus faible sur le plan artistique ou gastronomique (elle a peu créé), ou encore politique (elle s’est appuyé sur des institutions déjà millénaires), et inversement. Ainsi, les premières cités-état nous ont-elles laissé beaucoup dans le domaine de l’organisation de la cité, mais pas grand chose dans celui de la fission atomique ; ont-elles pour alors plus ou moins de valeur que la civilisation dite « de la Silicon Valley » ?
Là encore, vous risquez d’inquiéter votre auditoire attentif, qui pourrait avoir l’impression que vous mélangez des choux et des carottes, si bien qu’une fois supposée l’existence d’une supercherie, il sera pris de perplexité en vous voyant passer à la question de l’excision et de la lapidation.
Pourtant, prendre le temps d’appréhender cette diversité du terme « valeur » du point de vue des domaines dans lesquels agit une civilisation aurait permis, outre d’écarter le doute évoqué ci-dessus, de mettre en lumière une nouvelle question : peut-on apprécier la valeur « globale » d’une civilisation, et si oui, comment?
Doit-on procéder à une moyenne de la valeur laissée dans tous les domaines existants, un peu comme cela est fait pour déterminer l’Indice de Développement Humain ?
Ou bien existe-t-il une hiérarchie à opérer entre ces différents domaines, de sorte qu’une civilisation qui aurait laissé un grand apport dans, disons, les 3 domaines les plus importants alors définis (scientifique, politique et artistique par exemple) aurait nécessairement une plus grande valeur qu’une autre, moins brillante dans ces domaines, mais la surpassant dans de nombreux autres (disons dans le domaine de la solidarité, du “développement durable” et de l’art culinaire par exemple).
Ou bien encore existe-t-il des situations dans lesquelles le degré de « valeur » atteint par une civilisation dans un domaine particulier est tellement peu élevé (la civilisation en question n’a pas eu un apport faible ou nul dans ce domaine, mais un apport négatif, elle est devenue un contre-exemple, à ne pas suivre) que, peu importe sa valeur dans les autres domaines, elle perd sa place, et doit être reléguée au rang des civilisations « de moindre de valeur » ?
Ce n’est donc qu’en tranchant la question de la méthode d’appréciation de la valeur d’une civilisation que l’on pourra légitimement, sans laisser l’impression, réelle ou supposée, d’une manipulation, que l’on pourra dire, par exemple, qu’une civilisation pratiquant l’excision vaut moins qu’une autre.
Soit l’on utilise la première méthode proposée, celle de la « moyenne », mais alors il faudra alors se pencher sur l’ensemble des apports qu’a pu laisser cette civilisation dans l’ensemble des domaines, ainsi que celle à laquelle elle est comparée.
Soit l’on utilise la méthode de la « hiérarchie des domaines », et il convient alors de déterminer quels sont les « domaines nobles », et de justifier ce choix. Là encore, il est difficile de répondre à la question de la civilisation pratiquant l’excision sans un travail préalable.
Soit l’on utilise la 3ème, et alors l’on peut répondre facilement que cette civilisation est de faible valeur car elle a un apport indubitablement négatif sur au moins un domaine, mais cette méthode nécessite de déterminer de quelle façon sont déterminés les « critères rédhibitoires » pour devenir « objective ».
Ou alors, l’on renonce à une appréciation globale de la valeur d’une civilisation, et l’on se contente de comparer les civilisations domaine par domaine, ce qui semble la méthode la moins complexe, et la plus utile si l’on souhaite aboutir à une réponse claire : cette civilisation est d’une valeur moindre que celle qui ne mutile pas les femmes contre leur gré, dans le domaine du respect de l’individu.
Aurélien
Merci pour ce commentaire, argumenté et intéressant.
Je reconnais bien volontiers que mes arguments peuvent être améliorés, voire remis en cause.
Mais je sais aussi que sur ce sujet, aucun argument ne pourra jamais convaincre les humanistes-universalistes-relativistes.
L’important comme disait Platon, est de pouvoir en débattre… sans émotions et sans hystérie. Vive le débat !
Mais oui ou non, le dieu-chien nous apporte-t-il autant que Platon ?