Approprié aux revers de l’existence, et en nous préparant psychologiquement au pire, le courant philosophique de Marc-Aurèle et de Sénèque a, en ces temps de pandémie, particulièrement la cote.
“N’agis point comme si tu devais vivre des milliers d’années ! L’inévitable est sur toi suspendu… ” méditait Marc-Aurèle dans ses Pensées pour moi-même, rédigées entre 170 et 180 après Jésus-Christ, au temps de l’épidémie qui porte le nom de sa dynastie, la peste antonine, cette maladie, qui était en réalité une variole et qui l’a peut-être tué.
Dix-neuf siècles plus tard, en pleine crise du coronavirus, le journal de l’empereur stoïcien et les Lettres à Lucilius, de Sénèque, font un tabac.
Pour ces sages grecs puis romains, il s’agissait d’anticiper le pire, notamment la perte de tout ce qui nous est cher. Grâce à la præmeditatio malorum un exercice de visualisation négative (s’imaginer veuf, ruiné ou aveugle, par exemple), et à certaines privations volontaires (s’exercer à vivre avec le minimum vital, sortir en sandales en plein hiver…), les stoïciens se préparaient aux possibles revers d’une vie imprévisible et souvent douloureuse, et à une élégante répétition générale de la catastrophe.
Relisons Sénèque : “En considérant d’avance tout ce qui peut arriver comme devant arriver, on amortira le choc de tous les malheurs, lesquels ne surprennent jamais ceux qui s’y sont préparés et qui s’y attendent. C’est pour ceux qui se croient en sécurité et qui vivent toujours dans l’attente d’évènements heureux, qu’ils sont pénibles”
La pandémie et les restrictions qu’elle impose, nous obligent à faire ce qu’ils nous conseillent depuis 2.000 ans : ne rien tenir pour acquis. Loin de la noircir, cette attitude donne de la saveur, du relief et du prix à notre existence. C’est pourquoi le stoïcisme est utile même pour ceux qui sont gâtés par la vie.
Épictète, dont le fameux Manuel, résume en treize pages toute la philosophie stoïcienne. Ce sage, boiteux, qui avait grandi esclave, partait du principe que “ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les opinions qu’ils en ont”, principe qui inspira les inventeurs américains des thérapies comportementales et cognitives.
Ne pas en vouloir aux événements, travailler sur nos représentations, trouver dans le malheur une occasion de progrès intérieur, changer ce qui peut l’être, penser à la mort sans fascination, sans grandiloquence, sans esquive, sans indifférence. Et cultiver chaque jour la gratitude et l’émerveillement.
Les prescriptions universelles de ces psychologues avant l’heure n’ont pas pris une ride.